Début du siècle
Les premières photographies et cartes
Peu d'images à consulter, mais des documents rarissimes !
Avant 1901
Le cliché Buland
Un seul cliché ci-contre, qu' il est possible d' agrandir en cliquant sur l' image, mais en trouver un du 19ème siècle fut une surprise de taille ! Ce retirage à partir d'une plaque en verre montre une vue de Bréhec en 1898. Le photographe est le peintre Jean-Eugène Buland (1853-1926), plus connu sous le seul prénom Eugène. Après des études à l' École des Beaux-Arts de Paris, il s' oriente vers une peinture symboliste avant de se tourner vers le courant réaliste naturaliste, inspiré par Courbet et Millet. Il fait ses début au Salon de 1873 et obtient un second Grand Prix de Rome en 1878 et 1879. En 1889, il peint plusieurs panneaux du salon des Sciences à l' hôtel de ville de Paris, puis reçoit une médaille d'argent lors de l' Exposition Universelle de 1889, laquelle sera suivie d'une médaille d' or lors de l'édition suivante en 1900. Vers la fin du 19ème siècle, il est décoré de la Légion d"honneur en 1894, année où il débute la décoration du plafond de l' hôtel de ville de Château-Thierry, travaux qui dureront jusqu'en 1897. On le retrouve en Bretagne en 1898 où il peint le tableau ci-contre, intitulé Bretons en prière, une huile sur toile qui est conservée au musée des Beaux-Arts de Quimper (page du musée sur l'œuvre ici), un style réaliste presque en trompe-l'œil. Cette date avérée fait office de provenance sur son séjour en Bretagne et l' exactitude de la date donnée pour cette plaque en verre. Buland n' est venu qu'une seule fois en Bretagne à cette période de sa vie et on reconnaît bien le village. Ça colle !
Le cadastre ancien et les recensements
Pour en savoir plus, il faudrait désormais passer du temps aux archives départementales pour retrouver les dépôts de permis de construire des maisons présentées sur la photo. Les maisons Le Cam (puis Le Quellec et Touchard) du bas du sentier des douaniers côté Plouézec datent de 1880. Celles du cliché Buland semblent avoir été construites entre 1850 et 1880. Une chose est sûre, l' examen du recensement de Plouézec indique pour la première fois le terme Bréhec, inscrit 'Brech' en 1872 ; notons néanmoins que la personne qui a rempli le formulaire de recensement a fait usage d' abréviation comme « Soise » pour Françoise, ce que le recensement de 1876 permet de confirmer. Avant le recensement de 1872, le seul Bréhec connu est le Vieux-Bréhec, dans les recensements de Plouha et sous la simple appellation Bréhec (à moins que ce qui n'est encore qu' un hameau ne porte alors un nom de lieu-dit différent, mais je n' ai rien trouvé dans les recensements de 1856, 1861 et 1866 dans les feuillets de l'arrondissement du Questel). En 1872, seuls trois foyers sont recensés, tous trois au nom de Rabin (du fait de deux chefs de famille marins et absents), tous nés à Plouézec. Premier foyer, Yves Rabin, sa femme Marie née Julon, tous deux âgés de 70 ans (les données de 1876 permettent de voir qu' il est né en 1801, et 1802 pour elle), leur fille Marie-Jeanne de 34 ans et leur petite-fille Jeanne-Yvonne de 5 ans. Deuxième foyer, Radegonde Rabin, âgée de 38 ans, femme de marin absent (François Mahé, retrouvé en 1876), et son fils Jean-François de 9 mois. Dernier foyer, Françoise Rabin, 45 ans, femme de marin absent (Jean Nedellec, retrouvé en 1876). En 1876, le recensement indique 'Bréhec hameau' avec certaines des familles qui m' ont permis de déterminer que le 'Brech' de 1872 parlait bien du même endroit et que les données avaient souvent été abrégées. Cette année-là, six foyers sont recensés. Les familles Hello et Le Saux sont venus rejoindre les Rabin et Mahé. Enfin, lors du recensement de 1881, on compte 14 foyers enregistrés à Bréhec. Notez que les Hello doivent être les occupants du moulin des moines, car les anciens l' appelaient "milin Hello" (avec un 'o' prononcé 'ou', milin étant moulin en breton).
En l' absence de recherches plus détaillées, il est donc logique de penser que les maisons sur la photo datent de 1860-1870, et peut-être quelques-unes de 1850. Le cadastre napoléonien, terminé en 1832 pour Plouézec (© AD C-d'A 3P214) et 1833 pour Plouha (© AD C-d'A 3P222), photos ci-contre, indique des parcelles le long de la côte, mais aucune maison, juste deux constructions aujourd'hui disparues : le moulin des moines, situé à gauche de la route qui remonte sur Le Questel, et dont nous avons trace sur les cartes postales des années 1901-1910, et le moulin de la grève et qui est mentionné comme détruit entre 1880 et 1890. Pour plus d'information sur ce moulin, dont les ruines sont encore visibles sur une carte de 1909-1910, voir la page sur le village et le bourg sous le menu 'Les anecdotes'.
La suite lorsque j' aurai pu consulter les permis de construire, à moins qu'une bonne âme ne soit intéressée par ces recherches et puisse se rendre aux archives départementales, qui sont en général fermées lorsque je viens en vacances !
Après 1901
Ces cartes-photos sont exceptionnelles en ce qu'elles datent du tout début du XXe siècle. Je n' ai malheureusement aucune provenance ni information sur la famille représentée sur ces clichés.
Commentaire sur le diaporama
La première photo m' a été communiquée par Michel Le Cavorzin, ami amateur de cartes postales dont j' espère nous pourrons un jour voir sa collection sur Plouha ! Il s'agit d'une carte-photo tirée en deux exemplaires d' après son auteur, un Monsieur E. Schmidt, et envoyée à une demoiselle non identifiée mais dont on peut penser qu' elle ait un lien avec Lanloup. Cette carte étant datée du 24 février 1903, la photographie a probablement été prise en 1902 au vu de la procession qui y est dépeinte, sans doute en été ; et peut-être même celle de l' Assomption de la Sainte Vierge-Marie, le 15 août de cette année, une fête qui était très importante dans le calendrier lanloupais. Elle constitue donc la plus ancienne référence de ma collection avec la carte de Barat n⁰ 64 sur l'église Saint-Loup de Lanloup, encore que le format nuage de la vue du Vieux-Bréhec, éditée par le receveur-buraliste de Kérity, Joseph Le Gouëz, pourrait y prétendre. Affaire à suivre !
Les cartes-photos suivantes sont attribuées au photographe Auguste Renault de Paimpol. Je pense que l' on peut les dater de 1904. Comme indiqué au dos divisé (donc après 1903), il s'agit d' une commande d'après la réponse du photographe, lequel se servira des clichés pour éditer ses propres cartes n⁰ 202 (cliché identique à la photo n⁰ 2) et 203 (charrettes derrière la digue retrouvées devant la Maison Blanche sur la photo n⁰ 3). Les plaques furent envoyées à la société des frères Lumière à Lyon pour y devenir cartes postales. Pour arriver à une datation de 1904, on peut comparer ces deux clichés retravaillés en noir et blanc pour mieux distinguer les sujets à ceux de Barat (Vue générale, 1903) et de Hamon (L' arrivée au village et Le village et la grève, 1905). Quand Jean-Baptiste Barat passe à Bréhec en 1903 pour prendre les deux premiers clichés de Bréhec, l' Hôtel de la Maison Blanche est bien présent mais pas encore en travaux d' élévation, et il n'y a aucune construction entre l' hôtel et les maisons Le Cam (plus tard, Le Quellec puis Touchard, construites d'après Loïck Touchard en 1880, permis de construire de novembre 1879). Lorsque Marie Hamon passe en 1905, l' Hôtel de la Maison Blanche a été surélevé et peint en blanc et la maison du docteur Le Pivert entre l' hôtel et les maison Le Cam a été construite. Entre les deux, les clichés Renault montrent l' hôtel en construction (cliché 1) puis terminé (cliché 2) mais sans la maison du docteur. Il est dommage que le deuxième cliché Renault ait fait l' objet d'une double exposition ; néanmoins, on aperçoit les cabanes des tailleurs de pierre (Yves Prigent et Joseph Quelen) et la guérite des douaniers (Pierre Lavissière et Yves-Marie Le Boucher).
La photo n⁰ 2 est typique de l' activité du port de Bréhec. Ce n'est pas tant la pêche mais la livraison du maërl, utilisé en tant qu' engrais par les agriculteurs, qui assure l' activité économique, d' où la gabarre de petit tonneau que l' on voit échouée. Le succès du port de Bréhec est dû non seulement à la digue qui abrite les embarcations, mais également au fait que la déclivité de Lanloup à Bréhec est douce, ce qui permet de remonter les attelages chargés de maërl avec une relative facilité.
Les photos n⁰ 3 et 4 sont une bonne indication de la mode de cette époque : la silhouette ne dévoile que le moins de peau possible, les jupes vont toujours au sol, les manches sont bouffantes mais la taille, cintrée ; le col est droit et haut. Les chapeaux sont l' élément indispensable de la toilette. Ils sont relativement plats, de type canotier, galette ou capeline, et munis d' une voilette.
Quant aux attelages ou charrettes, ils sont encore le moyen de locomotion privilégié, quelle que soit la classe sociale, d' autant qu'il faudra encore attendre une quinzaine d'année avant que le P'tit Train ne desserve la halte de Bréhec et que l' automobile ne commence à prendre son essor.
Comme vous l' imaginez, il n' existe que peu de documents photographiques de cette époque ; ils sont malheureusement rarissimes. N' hésitez pas à contribuer au développement du site si vous retrouvez de tels trésors dans de vieux albums de famille. Je peux également recréer des images numériques à partir des négatifs sur plaque en verre.
Clichés Renault nettoyés et retravaillés en noir et blanc
Pour clore ce chapitre, je vous propose la lecture de deux articles sur Bréhec, communiqués par Pascal Le Maléfan, parus dans Le Journal de Paimpol et écrits en 1891 par Léon Marillier (1863-1901). Des textes emprunts d' une exaltation communicative à travers une prose où le lecteur ressent une émotion véridique, exprimée dans un style que n' aurait pas renié Chateaubriand, tant le style lyrique de ces promenades évoque les scènes d' automne de René.
Quelques mots sur l'auteur
Agrégé de philosophie, puis maître de conférence à l'École Pratique des Hautes Études, Léon Marillier rencontre Anatole Le Braz en 1881 lors de la préparation du concours d' admission à l' École Normale Supérieure. Ce Lyonnais d'origine vient passer des vacances chez son ami et, lors de son séjour, il rencontre Jeanne-Marie Le Braz, sœur d' Anatole, qui deviendra sa femme. Retournant souvent à Paimpol pour y rendre visite à Jeanne-Marie, qui fut directrice de l'école maternelle de Paimpol de 1885 à 1889, il y séjourne même quelques temps au moment où ces articles sont publiés. Il décèdera à Paris à l' âge de 38 ans d'une congestion pulmonaire, deux mois seulement après le terrible naufrage de la Marie-Thérèse à Port-Béni, le 20 août 1901, au cours duquel il perd sa femme, Jeanne-Marie. Ils sont enterrés tous deux dans un tombeau du vieux cimetière de Tréguier.
Un lien avec Sorbonne-Plage
Pour la petite histoire, notons qu'il est fort possible que cette amitié entre Anatole Le Braz et Léon Marillier soit à l' origine de la création de « Sorbonne-Plage ». La mère de Léon, Cécile Chaley, était la compagne de Charles Seignobos, historien reconnu et fondateur du courant de l' école méthodique de l' Histoire (méthode historique appliquée aux sciences sociales), décédé à Ploubazlanec en 1942 où il est placé en résidence surveillée par les autorités de Vichy. Très ami avec le physiologiste Louis Lapicque, pionnier de la neurologie, les deux compères découvrent sans doute l' Arcouëst et la baie de Launay après avoir entendu les dithyrambes de Léon Marillier sur la région de Paimpol. Ils sont les premiers à y prendre leurs quartiers d' été, puis sont rejoints par d'autres scientifiques, tels le chimiste Victor Augé, le physicien Jean Perrin, ainsi que l' historien Georges Pagès et le mathématicien Émile Borel. Ce sont ces deux derniers qui y invitent Marie Curie en 1912. Tous ont pour point commun d' être anciens normaliens, profondément dreysusards et ardents défenseurs du pacifisme. À ce propos, Léon Marillier fut incriminé dans le procès Dreyfus, pour avoir défendu ce dernier, et il fut l' un des fondateurs de la Société française pour l'Arbitrage entre Nations, devenue Ligue de défense des droits de l'Homme. La boucle est bouclée !
Pour en savoir plus :
Édouard Launet, Sorbonne Plage, Stock, 2016, ISBN 223407925X
Pascal Le Maléfan (email ici), « Léon Marillier, figure de la psychologie naissante (1862-1901) », Bulletin de psychologie, n⁰ 476, 2005, p. 267-280. Merci de prendre contact avec ce dernier si vous avez des éléments historiques sur Léon Marillier.
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